Pourquoi les personnes atteintes de troubles de la mémoire se rappellent-elles parfois mieux leurs souvenirs d’enfance ?

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Il arrive qu’une personne atteinte d’une maladie neurocognitive comme la maladie d’Alzheimer ne parvienne plus à se souvenir d’un rendez-vous, d’une conversation récente ou d’un détail du quotidien. Et pourtant, cette même personne peut raconter avec précision un souvenir d’enfance, décrire un lieu familier de son village natal ou évoquer une scène vécue il y a plusieurs décennies.

Ce contraste interroge souvent les familles, les proches, comme les soignants. Pourquoi certains souvenirs semblent ils disparaître rapidement, tandis que d’autres résistent au temps et réapparaissent avec une surprenante vivacité ? Les neurosciences apportent aujourd’hui des éléments de réponse qui permettent de mieux comprendre ce phénomène, sans l’idéaliser ni le généraliser, car il peut varier d’une personne à l’autre.

/ La mémoire récente ou mémoire de travail est plus fragile que la mémoire ancienne ou mémoire épisodique

Dans la maladie d’Alzheimer, les difficultés apparaissent d’abord dans l’incapacité à enregistrer et à retenir des informations nouvelles. C’est la raison pour laquelle une personne peut oublier un rendez- vous, une consigne ou un événement récent alors qu’elle se souvient encore très bien d’un moment vécu il y a plusieurs décennies. Cela s’explique par l’atteinte précoce de l’hippocampe, une structure essentielle pour la formation des souvenirs récents[1].

Les souvenirs plus anciens, eux, ont eu des années pour se consolider. Ils s’appuient sur des réseaux cérébraux plus larges et parfois moins vulnérables, ce qui peut les rendre accessibles plus longtemps.

/ Pourquoi les souvenirs d’enfance laissent ils une trace durable

L’enfance et le début de l’âge adulte constituent une période appelée le reminiscence bump, bien décrite dans la recherche. Il s’agit d’une concentration de souvenirs particulièrement accessibles, même de nombreuses années après[2].

Plusieurs raisons à cela :

  • L’enfance est une période riche en premières fois et en émotions.
  • Ces expériences construisent notre identité et s’inscrivent profondément dans la mémoire épisodique.
  • Elles sont consolidées au fil du temps dans des réseaux cérébraux plus robustes.

Ces éléments expliquent pourquoi des chansons, des lieux ou des traditions d’enfance peuvent rester très vivants. Ils s’ancrent dans notre mémoire épisodique des événements forts de notre vie.

/ Ce que montrent les études dans la maladie d’Alzheimer

Les études montrent une réalité importante : la mémoire épisodique est globalement fragilisée dans la maladie d’Alzheimer, y compris pour les souvenirs anciens. Mais certaines composantes des souvenirs d’enfance ou de jeunesse peuvent persister plus longtemps, selon les personnes et selon le stade de la maladie.

Par exemple :

  • Certains patients se souviennent facilement des souvenirs anciens situés entre l’enfance et le début de l’âge adulte[2].
  • La mémoire épisodique peut conserver des fragments affectifs, même quand les détails s’estompent[3].

Ce n’est pas le cas de toutes les personnes, mais les études cliniquesmontrent que cela arrive souvent, et cela aide à mieux comprendre ce que vivent certaines familles.

/ Ces souvenirs peuvent aider à maintenir le lien

Les souvenirs anciens ne sont pas seulement des traces du passé. Ils peuvent devenir un point d’appui précieux pour communiquer, apaiser et préserver la relation avec un proche atteint de troubles de la mémoire. Évoquer une période d’enfance, une photo, une musique d’époque ou une recette familiale peut :

  • Créer un moment de joie ou de reconnaissance,
  • Offrir un repère à la personne,
  • Réintroduire une continuité dans l’histoire personnelle,
  • Ouvrir un espace de partage sans pression de performance.

Ces instants comptent, même lorsque les mots manquent ou que la mémoire récente se fragilise.

/ En résumé

Si certaines personnes atteintes de troubles de la mémoire évoquent plus facilement des souvenirs d’enfance, c’est parce que ces souvenirs ont été profondément ancrés, consolidés au fil des années et parfois soutenus par des réseaux cérébraux moins vulnérables que ceux qui enregistrent les événements récents et amplifiés par des émotions fortes associées.

Ce n’est pas le cas de tout le monde, ni à toutes les étapes de la maladie, mais ces traces anciennes peuvent continuer à porter une part de l’histoire personnelle, de l’identité et du lien avec les proches.

Références :
[1] Irish M., Piguet O. (2023). Autobiographical memory in dementia syndromes. Neuroscience and Biobehavioral Reviews.
[2] Kirk M., Berntsen D. (2018). The Life Span Distribution of Autobiographical Memory in Alzheimer’s Disease.
[3] El Haj M. et al. (2016). Autobiographical memory decline in Alzheimer’s disease.

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